Au XVIIIe siècle, afin de tirer un trait définitif sur les guerres de religion, le libéralisme
s’emploie à « pacifier » politiquement et idéologiquement la société. Comme Jean-Claude
Michéa l’a lumineusement exposé, « l’idée s’installe alors peu à peu que l’unique manière
d’empêcher le retour des guerres civiles idéologiques est de s’en remettre à un Etat
axiologiquement neutre, c’est-à-dire un Etat qui annule toute référence à des valeurs morales,
religieuses ou philosophiques, et qui ne tienne par conséquent qu’un discours d’“expert” » .
L’Etat, en d’autres termes, ne doit plus prétendre trancher entre les différents systèmes de
valeurs auxquels les individus choisissent de se référer. Il ne doit plus statuer sur ce
qu’Aristote appelait la « vie bonne ». Il ne doit plus dire que certaines façons de vivre valent
mieux que d’autres, ni chercher à proposer, réaliser ou incarner un idéal philosophique ou
religieux particulier. Cette attitude implique une stricte séparation de la sphère publique, ainsi
« neutralisée », et de la sphère privée, où les valeurs peuvent continuer d’être vécues et
partagées, mais à la condition de ne pas chercher à déborder dans la sphère publique.
La solution retenue par la modernité libérale pour conjurer le spectre des guerres civiles et
religieuses n’est donc pas le modèle de Hobbes (qui propose d’instaurer le Léviathan, l’Etat
absolu), mais une « neutralité » qui aboutit tout naturellement à calquer le gouvernement des
hommes sur l’administration des choses. « L’objectif devient alors, observe Alain Caillé, de
définir des procédures neutres et objectives – dont le marché et le droit sont les principales
incarnations – qui permettent de faire fonctionner la société toute seule, indépendamment des
motivations bonnes ou mauvaises des hommes » . Les décisions des pouvoirs publics devant
être aussi « objectives » que possibles, le modèle de l’objectivité est recherché dans la
science, et plus précisément dans l’expertise technicienne et « scientifique », seule instance
supposée tenir un « discours sans sujet ». Ainsi s’ouvre l’ère des « experts », pour qui tous les
problèmes sociaux sont des problèmes techniques. Ces problèmes sont censés pouvoir être
résolus par des solutions techniques elles aussi. Dans une telle perspective, il est toujours
possible de dégager une solution « objectivement » meilleure que les autres. Il en résulte que
le politique n’est plus une affaire de choix entre diverses orientations possibles : les
discussions idéologiques sont inutiles, puisqu’il y a en définitive qu’une solution possible,
qu’une seule solution qui mérite vraiment ce nom.
Dans l’optique libérale, l’Etat neutre est cet Etat qui s’élève au-dessus de la société, où
coexistent les opinions les plus différentes, afin de permettre aux hommes d’être « libres ».
L’Eglise avait déjà distingué pouvoir spirituel et pouvoir temporel ; la modernité libérale
sépare les pouvoirs, sépare l’Etat de la société civile, sépare la science de la foi. L’attitude
libérale envers l’Etat est en fait ambivalente. D’un côté, l’emprise de ce « Dieu mortel » (deus
mortalis) doit toujours être limitée, afin qu’il ne menace pas les privilèges de la société civile,
conçue comme le lieu d’exercice naturel de la liberté. Mais de l’autre, c’est bien de lui que
l’on attend qu’il permette à cette même société civile de se tenir à l’abri des affrontements
politiques et religieux du passé.
Michéa montre ici la grande congruence du libéralisme économique et du libéralisme
politique. Le premier est censé contribuer à la « pacification » idéologique par le moyen du
« doux commerce », non seulement parce que le commerce, posé comme une nouvelle
modalité du lien humain, est censé permettre de par sa nature intrinsèque d’échapper aux
fatales violence de la politique, en substituant au conflit un modèle contractuel fondé sur une
négociation avantageuse pour toutes les parties, mais aussi parce que la priorité donnée à
l’économie laisse entrevoir la possibilité de déléguer la gestion des sociétés aux mécanismes
impersonnels du marché « autorégulé ». Le libéralisme politique, fondé sur l’« Etat de droit »,
s’organise quant à lui autour de l’idée que les individus sont entièrement libres de mener la
vie qu’ils veulent sous la protection (et l’autorité) d’un droit axiologiquement neutre,
seulement chargé de faire en sorte que l’exercice de la liberté des uns ne nuise pas à la liberté
des autres (sans que l’on dise d’ailleurs jamais pourquoi, si l’individu doit être libre, il devrait
respecter cette injonction de ne pas nuire à autrui qui, de toute évidence, limite sa liberté ).
« Si le libéralisme doit être compris comme la forme la plus radicale du projet politique
moderne, écrit Michéa, c’est donc d’abord parce qu’il ne propose rien moins que de privatiser
intégralement ces sources perpétuelles de discorde que représenteraient nécessairement la
morale, la religion et la philosophie » .
Dans un pareil système, tout ce qui est de l’ordre de la morale ou de la valeur se trouve
donc rabattu sur la sphère privée. Les questions morales sont privatisées, et la sphère publique
« éthiquement purifiée ». Dans l’optique du « pluralisme », les croyances reçoivent le statut
de simples opinions, censées par principe être aussi légitimes les unes que les autres,
l’important étant que la société économique et marchande puisse fonctionner « librement »,
sans que des jugements arbitraires viennent perturber le libre jeu des mécanismes « naturels »
du marché. « Cela signifie, écrit encore Jean-Claude Michéa, que si l’Etat libéral entend
renoncer par principe à définir ce qu’est la “vie bonne”, c’est le marché (et à travers lui
l’imaginaire de la croissance et de la consommation) qui se chargera de facto de définir la
manière concrète dont les hommes devront vivre ».
A cette vue, Michéa oppose l’idée que les sociétés ne peuvent vivre sans un minimum de
valeurs partagées, c’est-à-dire sans s’accorder sur une définition minimale de ce qu’est la
« vie bonne », cette définition minimale ne devant par ailleurs pas être une « idéologie
métaphysique du Bien », pas qu’une vertu héroïque et guerrière toujours susceptible de
conduire à des dérives autoritaires, sinon totalitaires. D’où l’importance qu’il accorde à la
notion orwellienne de « décence commune » (common decency), laquelle recouvre les qualités
auxquelles a de tout temps adhéré le sens commun : honnêteté, solidarité, générosité, loyauté,
esprit de don, sens de la gratuité, sens de l’honneur, goût de la réciprocité et de l’entraide, etc.
Ce postulat de neutralité de l’Etat libéral n’est en réalité pas tenable. D’une part, le choix
de la « neutralité » n’est lui-même pas un choix neutre, et la volonté des libéraux d’éliminer la
morale et la sphère publique résulte elle-même d’un choix moral (et moralisateur) évident.
D’autre part, même les milieux libéraux tiennent qu’il y a des choses meilleures que d’autres,
y compris bien entendu sur le plan moral. Le libéralisme ne peut donc échapper à la
« tentation morale ». Hostile aux traditions, il s’inscrit lui-même dans une tradition. Il a un
caractère social particulier.
Prenons l’exemple de la liberté, dont le libéralisme fait si grand cas. L’essentiel pour un
libéral est la liberté de choix, sans aucune valeur ou référence substantielle pour la guider.
Mais si tout se valait, quelle serait l’utilité même du libre choix ? N’est-ce pas au contraire
parce qu’il y a des choses qui valent mieux (ou plus) que d’autres que la liberté peut acquérir
un sens ? La liberté ne saurait s’exercer dans un désert normatif, mais à partir d’un horizon
axiologique signifiant. Autrement dit, pas de libre choix sans valeurs pour le guider : on ne
peut faire, dans la vie réelle, l’économie d’un horizon normatif partagé.
L’adhésion des libéraux à l’idéologie du progrès n’est pas moins significative. L’avenir est
censé être automatiquement porteur d’un mieux, l’homme lui-même étant supposé s’améliorer
au fur et à mesure que ses conditions d’existence s’améliorent, puisqu’il est posé comme à la
fois indéfiniment perfectible et d’une plasticité sans fin. Notons, en même temps, que c’est
aussi cette amélioration « morale », présentée comme le résultat d’une nécessité historique
objective, qui justifie que l’on n’ait pas à s’interroger moralement sur ses résultats, c’est-à-
dire sur tous les problèmes que la modernisation peut faire naître.
Enfin, le libéralisme est aussi porteur de l’idéologie des droits de l’homme. Ces droits sont,
comme on le sait, des droits subjectifs, inaliénables, que tout homme est censé tenir de sa
propre nature (et même, le plus souvent, d’un ancien état de nature ayant précédé sa vie en
société). Or, il ne fait pas de doute que l’idéologie des droits de l’homme, au-delà de son
soubassement juridique, est une idéologie profondément morale. En même temps, cependant,
la morale qu’elle véhicule étant une morale impliquant la priorité du juste sur le bien (on y
reviendra), elle peut aussi se donner l’apparence d’une certaine « neutralité » dans la mesure
où les droits sont imaginés et construits indépendamment de toute conception particulière du
bien. C’est pour cela que les droits de l’homme, au départ, ne sont pas perçus comme
contradictoires de la croyance libérale en la nécessaire neutralité de l’Etat. La « justice » y est
posée comme conciliable avec la neutralité morale, et même comme exigeant cette neutralité.
Il n’en est pas moins vrai que c’est bien à partir des droits de l’homme que l’Etat libéral
« neutre » va favoriser l’invasion du champ public par le devoir-être. Conformer la société
tout entière aux principes de l’idéologie des droits de l’homme, ce sera la rendre plus
« juste ». L’obligation morale ne porte plus alors tant sur les comportements individuels que
sur la façon dont la société doit se transformer pour devenir « meilleure ». Parallèlement, dans
la vie quotidienne, l’incessante multiplication des revendications conformes aux droits de
l’homme, le glissement progressif des « droits de » aux « droits à », la surenchère à laquelle
ce glissement va donner lieu, vont peu à peu aboutir à ce que Philippe Muray a appelé
l’« empire du Bien ».
Mais l’idéologie des droits de l’homme va aussi permettre à l’Occident de se poser comme
empire du Bien vis-à-vis du reste du monde. S’appliquant à tout homme, les droits de
l’homme, création purement occidentale, ont en effet d’emblée été posés comme des principes
« universels ». C’est en leur nom, en se drapant dans sa prétention d’être la seule culture
capable d’énoncer un discours « universel », que l’Occident va faire la leçon aux cultures du
monde entier, en leur intimant de renoncer aux coutumes et aux modes de vie qui leur sont
propres. Une telle démarche équivaut à une lutte sans cesse renouvelée contre l’altérité.
Convaincu d’être porteur des seules valeurs universelles concevables, l’Occident veut les
étendre à toute la planète, ce qui le porte à délégitimer comme perverses ou archaïques toute
singularité qui s’y oppose, « y compris cette forme de singularité qu’est la mort elle-même »
(Baudrillard). Il entend instaurer le règne du Même à l’échelle planétaire, dans l’espoir, là
aussi, de faire disparaître l’ambivalence, le principe négatif, ce que Georges Bataille appelait
la « part maudite ». L’Occident veut au fond négocier l’altérité, et enrage de ne pouvoir
parvenir .
L’invocation rituelle des droits de l’homme présente par là l’évident avantage de pouvoir,
pour le bon motif, déroger à la sacro-sainte règle de non-discrimination. Quand il s’agit de
dénoncer les cultures traditionnelles « arriérées », les « superstitions d’un autre temps » et
autres pratiques que le « progrès » a vocation à faire disparaître, il est permis de désigner à la
vindicte générale un certain nombre de « mauvais sujets » (ou d’« Etats-voyous »).
S’inscrivant en faux, à ce propos, contre les thèses de Samuel Huntington à propos de
l’affrontement de l’islam et de l’Occident, Jean Baudrillard écrit : « Il ne s’agit pas d’un choc
des civilisations, mais d’un affrontement, presque anthropologique, entre une culture
universelle indifférenciée et tout ce qui, dans quelque domaine que ce soit, garde quelque
chose d’une altérité irréductible. Pour la puissance mondiale, tout aussi intégriste que
l’orthodoxie religieuse, toutes les formes différentes et singulières sont des hérésies. A ce
titre, elles sont vouées soit à rentrer de gré ou de force dans l’ordre mondial, soit à disparaître.
La mission de l’Occident (ou plutôt de l’ex-Occident, puisqu’il n’a plus depuis longtemps de
valeurs propres) est de soumettre par tous les moyens les multiples cultures à la loi féroce de
l’équivalence. Une culture qui a perdu ses valeurs ne peut que se venger sur celles des autres
[…] L’objectif est de réduire toute zone réfractaire, de coloniser et de domestiquer tous les
espaces sauvages, que ce soit dans l’espace géographique ou dans l’univers mental » .
Quoique s’affirmant « neutre » lui aussi vis-à-vis des diverses « dénominations »
religieuses, le néoconservatisme américain, héritier de la tradition puritaine, replace quant à
lui directement la politique dans la dépendance de la morale, notamment en représentant les
rapports de force et les conflits internationaux comme une variante de la « lutte du Bien
contre le Mal ». Les Etats-Unis, dans cette optique, sont toujours du côté du Bien : ils sont
même la « nation de Dieu », dont la Destinée manifeste est d’exporter jusqu’aux limites de la
planète leur modèle de société. Le Mal, ce sont les obstacles à l’américanisation du monde,
qui sont en même temps des survivances d’une conscience « prémoderne » que les Lumières
avaient cru abolir en proclamant la toute-puissance du principe de raison.
Mais revenons à la distinction fondamentale entre morales fondées sur la priorité du bien et
morales fondées sur la priorité du juste .
Le débat sur la priorité du juste et du bien recoupe l’opposition classique entre les morales
de type déontologique de type kantien et les morales téléologiques ou arétiques de type
aristotélicien. L’éthique aristotélicienne est une éthique des vertus fondée sur la priorité du
bien : c’est une éthique « attractive », qui fait reposer la morale sur la visée d’un bien
indissociable d’un telos, c’est-à-dire d’une finalité spécifique. Les sociétés modernes, au
contraire, sont le fruit d’une révolution morale consistant à accorder la priorité au juste sur le
bien. Chaque morale fait évidemment usage des deux termes, mais en les plaçant dans l’ordre
opposé. Si le juste est fondamental, le bien se définira comme ce que désire l’individu dans la
mesure où ses actes et ses désirs sont conformes aux exigences de l’obligation morale : le bien
sera l’objet du désir juste. Si le bien est fondamental, le juste sera ce que l’on doit faire pour
parvenir à ce bien. Les uns disent : est juste ce qui est bien ; les autres répondent : est bien ce
qui est juste.
Kant a été l’un des premiers à inverser l’ordre des priorités, rompant avec la téléologie de
la recherche du bien, à la manière d’Aristote, pour se contenter de la déontologie du respect
du juste. Le sujet transcendantal est pour lui un présupposé nécessaire de la liberté, car seul un
sujet conçu comme indépendant et antérieur aux déterminations du monde sensible peut
échapper à l’hétéronomie. « Est juste, écrit Kant dans sa Métaphysique des mœurs, toute
action qui peut, ou dont la maxime peut, laisser coexister la liberté de l’arbitre de chacun avec
la liberté de tout le monde d’après une loi universelle ». Il s’en déduit que la justice exige
que la société soit gouvernée par des principes n’impliquant aucune conception particulière du
bien, ne préjugeant d’aucun bien substantiel particulier. Kant pose comme fondement une loi
morale s’imposant aux individus de manière inconditionnelle, quels que soient leurs désirs,
leurs souhaits ou leurs intérêts. C’est cette loi morale qui définit le bien, et non l’inverse. Une
morale déontique succède ainsi à une morale arétique, c’est-à-dire une éthique des vertus.
L’espace du politique se trouve du même coup dissocié des communautés morales, et les
normes publiques ne sont plus nécessairement le prolongement des valeurs individuelles
privées. La validité morale d’un argument ne coïncide plus nécessairement avec sa légitimité
politique. Ce qui répond au vœu d’un Benjamin Constant : « Prions l’autorité de rester dans
ses limites, qu’elle se borne à être juste, nous nous chargeons d’être heureux ».
Les grands auteurs libéraux contemporains, comme John Rawls, Ronald Dworkin, Bruce
Ackerman ou Charles Larmore, se situent dans la filiation de Kant (même s’ils s’efforcent
parfois, ainsi que le fait Rawls, d’évacuer les fondements métaphysiques de sa doctrine).
Rawls soutient qu’une théorie de la justice doit correspondre au souci que des individus
rationnels ont de la satisfaction de leur intérêts sans jamais leur imposer une conception
particulière du monde. « La justice, écrit-il, est la première vertu des institutions sociales,
comme la vérité est celle des systèmes de pensée ».
Au sens épistémologique, la priorité du juste signifie que « la justification des principes de
justice spécifiant nos droits ne dépend d’aucune conception particulière de la vie bonne »,
c’est-à-dire que le juste doit être formulé de manière indépendante de toute conception du
bien. En régime libéral, le bien est donc défini de façon purement formelle, et non
substantielle. C’est ainsi que pour John Rawls, le bien d’une personne est déterminé par le
projet rationnel de vie qu’elle choisirait, sur la base d’une délibération rationnelle, à l’intérieur
d’une classe maximale de projets (les principes du juste étant les principes qui feraient l’objet
d’un accord entre personnes rationnelles placées dans une situation originelle d’égalité).
Enfin, pour les libéraux, le moi est toujours antérieur aux fins qu’il choisit. Il y a toujours
« priorité du moi sur ses fins », affirme Rawls. « Ce qui importe d’abord au moi désengagé,
ce qui définit intrinsèquement sa personnalité, remarque Michael Sandel, ce ne sont nullement
les fins qu’il se choisit, mais sa capacité de les choisir ».
Michael Sandel a très clairement résumé l’idéal libéral : « Sa thèse centrale peut s’énoncer
comme suit : une société juste ne cherche à promouvoir aucun projet particulier, mais donne
l’occasion à ses citoyens de poursuivre leurs objectifs propres, dans la mesure où ceux-ci sont
compatibles avec une liberté égale pour tous ; par conséquent, cette société doit se guider sur
des principes qui ne présupposent aucune idée du bien. La justification fondamentale de ces
principes régulateurs n’est pas qu’ils maximisent le bien-être général, qu’ils cultivent la vertu
ou qu’ils promeuvent le bien de quelque autre manière, mais plutôt qu’ils soient conformes au
concept du juste, une catégorie morale qui se voit attribuer une préséance et une indépendance
par rapport au bien ».
Par le détour de la distinction entre le juste et le bien, on retrouve donc le postulat de
« neutralité », mais associé cette fois à un parti-pris en matière morale. La justification
classique de ce point de vue est que, si l’Etat n’était pas neutre à cet égard, s’il affirmait une
conception particulière du bien au regard du « pluralisme » de la société – qui ne cesse
aujourd’hui de s’accroître –, sa prise de position équivaudrait à un manquement à
l’impartialité (car ce sont les valeurs d’une partie seulement des citoyens qui seraient promues
ou favorisées), donc à une limitation des droits individuels. Or, pour les libéraux, l’Etat doit
au contraire fournir à chacun les conditions lui permettant de mener dans la sphère privée la
conception de la « vie bonne » à laquelle il adhère sans en privilégier aucune (principe qui
rejoint celui de la laïcité en France). Le rôle de la puissance publique n’est ni de contribuer à
rendre les citoyens vertueux, ni de promouvoir des fins particulières, mais seulement de
garantir les libertés fondamentales. Ce qui fait, dans cette optique, qu’une société est juste,
« ce n’est pas le telos, le but ou la fin qu’elle poursuit, mais précisément son refus de choisir à
l’avance parmi des fins ou des buts concurrents »14. Le système politique doit s’abstenir de
prendre position dans le conflit des systèmes de valeurs ou des conceptions du monde, lequel
doit rester confiné dans la sphère privée.
La priorité donnée au juste sur le bien repose donc en fin de compte, dans la doctrine
libérale, sur trois fondements. D’abord l’idée que l’individu est la seule source de valeur
morale, ce qui exclut toute conception accordant à une collectivité quelconque des aspirations
qui ne se réduiraient pas à celles de ses membres. Ensuite l’idée que l’Etat doit être neutre,
dont on a déjà parlé, enfin l’idée que le jugement politique doit être exclusivement fondé sur
des normes formelles et procédurales. D’où la définition de l’Etat libéral comme une
« République procédurale », reposant elle-même sur le principe de neutralité de l’action
publique et la primauté des droits subjectifs d’un individu choisissant librement ses fins sans y
être le moins conduit par ce qui se trouve en amont de lui, son héritage ou son appartenance
par exemple.
L’irréalisme de ce dernier postulat saute aux yeux : pas plus qu’il ne saurait y avoir de
liberté extra-sociale (ou présociale), il n’y a de droits subjectifs inhérents à la nature
humaine : le droit se définissant comme une relation équitable, il n’y a de droit possible qu’en
société. L’homme, d’autre part, ne peut choisir toutes ses appartenances, puisque nombre
d’entre elles sont constituées avant lui. Il est alors illusoire d’imaginer que ses appartenances
ne pèsent pas sur ses choix : l’identité peut se constituer contre elles, mais non en dehors
d’elles.
Les théoriciens communautariens (Charles Taylor, Michael Sandel, Alasdair MacIntyre)
n’ont pas eu de mal à montrer que la priorité du juste sur le bien repose sur une anthropologie
imaginaire : le sujet de la morale de Kant, comme celui de la théorie de la justice de Rawls,
est un sujet abstrait, désaffilié, et donc « neutre » lui aussi, alors qu’il n’existe que des
hommes enchâssés (embedded) dans des structures d’appartenance concrètes. Tandis que les
libéraux proclament que le moi est toujours antérieur à ses fins, les communautariens,
s’inspirant d’Aristote et de Hegel, montrent que l’homme réel découvre ses fins plus qu’il ne
les choisit, et que la façon dont il les détermine est indissociable de la reconnaissance des
appartenances et des attachements à autrui qui le constituent. Ils soulignent donc le caractère
constitutif des liens et des rapports sociaux pour l’identité des agents. Nul ne pouvant se
placer hors de sa culture et de son histoire, même lorsqu’il entend les contredire ou les
récuser, un moi « désengagé », dégagé de toute appartenance, n’est qu’une abstraction. Une
fois évacuées toutes les caractéristiques concrètes des hommes concrets, il ne reste pas
l’« essentiel » (un homme « supra-empirique »). Il ne reste rien. Il en résulte qu’il est tout
simplement impossible de poser un juste abstrait indépendamment d’une conception
déterminée du bien, et encore moins prioritairement ou antérieurement à lui.
Les rapports du libéralisme avec la morale ne sont donc pas simples. D’un côté, l’Etat
libéral se prétend « neutre » dans le domaine des valeurs. De l’autre, les liens qu’il entretient
avec l’idéologie des droits de l’homme, qui est une doctrine éminemment morale, semblent
lui interdire de respecter cet idéal. Mais cette observation doit être nuancée par la prise en
considération de la différence entre les morales déduisant le bien du juste et celles qui
déduisent le juste du bien, les premières pouvant continuer à se targuer d’une certaine
neutralité, même si celle-ci est, sur le fond, illusoire (dans la mesure où le parti-pris du juste
par rapport au bien est lui-même tout sauf neutre).
Mais, pour compliquer encore un peu plus les choses, il faut encore examiner ici une autre
problématique, liée elle aussi à la montée de la modernité : la problématique du Mal. La
présence du mal dans le monde a toujours été un problème pour la théodicée, c’est-à-dire cette
partie de la métaphysique chrétienne qui traite de l’existence de Dieu et de ses attributs.
Comment expliquer la présence du mal dans un monde créé par un Dieu infiniment bon et
tout-puissant ? La réponse chrétienne classique est que c’est l’homme qui est responsable de
l’apparition du mal, celui-ci résultant du mauvais usage qu’il a fait de son libre-arbitre lors de
la faute originelle. La réponse gnostique faisait, elle, intervenir l’existence d’un Dieu
mauvais, concurrent du Dieu bon. A l’époque moderne, cette problématique se déplace.
L’alternative n’est plus de savoir qui, de l’homme ou de Dieu, est responsable de l’apparition
du mal, mais qui, de l’homme ou de la société, en est responsable. Cette nouvelle
interrogation n’est bien entendu possible que dans une optique, elle aussi typiquement
moderne, où l’homme (replacé par exemple dans un imaginaire « état de nature ») peut
s’analyser séparément de la société. Le mal, est-il alors affirmé, ne provient pas de l’homme,
que certains vont jusqu’à poser comme « naturellement bon », mais de la société. Les
Lumières en concluent que, n’étant plus une propriété intrinsèque de la nature humaine, le
mal peut (et doit) être éliminé. Il suffit pour cela de changer la société. On retrouve le devoir-
être.
Rappelons ici que la société humaine est conçue par les Modernes comme une simple
addition d’individus, d’atomes élémentaires, ayant choisi de quitter un état de nature pré-
politique et présocial pour s’associer contractuellement en vue de maximiser leurs intérêts.
Cette représentation se base elle-même sur un modèle anthropologique : celui d’un individu
fondamentalement égoïste, cherchant en permanence à calculer de façon rationnelle son
meilleur intérêt matériel. Cet égoïsme n’est nullement regardé de façon péjorative : selon les
auteurs libéraux, depuis Adam Smith et Bernard Mandeville, c’est au contraire la mise en
œuvre de l’égoïsme de chacun qui est censée contribuer à l’optimum social et au bonheur de
tous, grâce à l’action de la « main invisible » du marché.
Avec la modernité apparaît donc l’idée que le mal peut être, non plus seulement canalisé
ou jugulé, mais définitivement supprimé par le biais d’un ordre social déterminé, qu’il suffit
de construire. Cette idée suppose, comme on vient de le dire, que le mal est extérieur à
l’homme, qu’il ne provient pas de lui, mais résulte plutôt d’effets de pouvoir, d’autorité et de
domination injustes. La justice consiste dès lors à créer les conditions dans lesquelles
l’injustice ne pourra plus apparaître. Parallèlement, l’idée s’impose que l’homme est d’autant
plus homme qu’il s’affranchit de toute naturalité, ce qui ouvre la voie à un historicisme
radical : l’espèce humaine est ce que l’on veut qu’elle soit.
La notion de mal, qui à l’époque moderne avait toujours suscité un certain malaise, tend
depuis vingt ans à réintégrer le langage public. Mais elle le fait d’une étrange façon. D’un
côté, nos contemporains continent à penser qu’il est possible d’éradiquer le mal au moyen de
mesures appropriées. De l’autre, adhérant à une conception du bien découlant de ce qu’ils
croient être juste, ils n’hésitent plus à dénoncer ce qu’ils appellent le « Mal absolu ». Ce Mal
absolu n’est pas la contrepartie d’un Bien absolu, dont nul ne songe à se réclamer (car poser
l’existence d’un Bien absolu irait à l’encontre de la « neutralité » inhérente à la conception
libérale du juste). C’est bien plutôt un Mal absolu posé comme contradiction radicale des
principes des droits de l’homme. Il s’incarne aujourd’hui dans un certain nombre de figures-
clés qu’on agite à tout bout de champ : le terroriste, le négationniste, le pédophile, le nazi, le
raciste, le tueur en série, etc. Les représentations qu’on en donne relèvent rarement de
l’analyse psychologique ou politique, mais plutôt d’une approche hystérique et
démonologique qui en interdit toute analyse intelligente. Stratégiquement, l’assimilation au
Mal absolu est éminemment rentable : tout soupçon en ce domaine vaut disqualification
maximale. Sur la base d’une chaîne d’équivalences arbitraires, génératrice d’autant de procès
d’intention, on peut ainsi frapper d’indignité publique les présumés porteurs d’idées
mauvaises. En tant qu’elles incarnent le Mal absolu, ces figures répulsives ont en outre le
grand avantage de pouvoir être instrumentalisées pour suspendre le jugement. Pour lutter
contre elles, en effet, tout devient permis. Pour combattre le terrorisme, il devient tout naturel
de restreindre les libertés civiques. Pour faire face aux « réseaux pédophiles », il devient tout
naturel de placer tous les internautes sous surveillance. Pour venir à bout de l’« empire du
Mal », il devient légitime d’enlever, torturer, bombarder, atomiser ses représentants, etc. Le
Mal absolu se définit finalement comme altérité radicale, horreur « indicible », irréconciliable
hétérogénéité. Le mal est à la fois nié dans son principe (on finira bien par le faire disparaître)
et reconnu sous une forme qui en interdit toute relativisation. C’est un mal absolu faisant
couple, non avec un bien absolu, mais avec un bien relatif, vis-à-vis duquel il joue un rôle de
repoussoir.
La volonté d’« éradiquer le mal » s’est souvent cristallisée autour de l’idée qu’il est
possible de faire disparaître le conflit et de mettre la guerre hors-la-loi. Cette idée peut être
formulée à la façon des pacifistes (on supprimera la guerre en faisant disparaître les « fauteurs
de guerre »), mais aussi à la façon des libéraux qui, là encore, allèguent le pouvoir
pacificateur du commerce et la « main invisible » du marché, censée transformer la société
tout entière en une structure paisible et autorégulée. Dans cette dernière optique, les postulats
sous-jacents sont, d’abord, que les intérêts individuels se concilient spontanément avec les
intérêts collectifs (qui ne sont que la somme des premiers) pourvu qu’on laisse les
mécanismes du marché jouer librement, et d’autre part, qu’il n’est pas de conflit auquel on ne
puisse trouver de « solution raisonnable », car des points de vue opposées, ici assimilés à des
intérêts divergents, sont toujours conciliables pour autant que la communication entre les
parties soit possible. On veut dire par là que tout conflit est négociable, sans réaliser qu’il y a
des choses qui, par nature, ne peuvent être négociées (les valeurs ne sont pas des intérêts).
Pareille démarche n’est pas seulement vouée à l’échec, mais aboutit exactement à l’inverse
du résultat recherché. Le refus du conflit débouche finalement sur la concurrence généralisée,
sur cette même guerre de tous contre tous que le projet libéral était censé neutraliser (mais
dans laquelle Engels, dès 1845, voyait l’essence même de la société libérale). Le rêve de paix
universelle conduit à la guerre « juste » totalement dérégulée, qui monte spontanément aux
extrêmes puisqu’il s’agit de triompher d’un ennemi placé hors humanité. Les guerres de
religion, avec lesquelles on voulait en finir, cèdent la place aux guerres idéologiques, qui
obéissent à la même logique. L’espoir de paix perpétuelle débouche sur la guerre perpétuelle.
Vouloir faire disparaître le conflit pour œuvrer à l’avènement d’un temps de justice et
d’harmonie universelles, vouloir en faire disparaître la dimension ontologique, constitutive,
c’est en fait une fois de plus nier (ou vouloir faire disparaître) l’altérité. Le conflit naissant de
la pluralité contradictoire des aspirations humaines, la différence est présentée comme
intrinsèquement belligène. On oublie seulement que la négation des différences ne l’est pas
moins : plus les hommes se ressemblent et plus ils sont désireux de se distinguer, en sorte
qu’ils ne cessent de se combattre, la rivalité mimétique n’étant que l’une des formes de cet
affrontement. « Loin d’être pacifiées, observent Michel Benasayag et Angélique del Rey, les
sociétés contemporaines qui nient ou refoulent le conflit sont lourdes d’une violence – froide
ou chaude – extrême et sans limites ».
Au-delà du désir d’extinction des conflits, on constate, dans les sociétés occidentales
actuelles, une tendance à nier la puissance du négatif qui, comme on l’a déjà dit, n’est admis
et reconnu que sous des formes extrêmes ou pathologiques (le « Mal absolu »). L’idée
générale est qu’on peut éliminer le négatif, ne garder que le versant positif de l’existence
humaine : la coopération sans le conflit, la raison sans la passion.
Le mal est en fait défini de façon privative. Au fond, ce que nos contemporains dénoncent
comme le mal, c’est ce qui ressortit au caractère tragique de la condition humaine. Ils veulent
éliminer la dimension tragique de l’existence, parce que le tragique est fondamentalement
ambivalent, et donc « opaque ». A cette opacité, ils opposent un idéal de « transparence »
sociale. Cette aspiration à la « transparence » est une exigence classique du rationalisme. Elle
pousse à son terme ultime le « désenchantement du monde » – l’éradication de son mystère.
Tout lien social organique, tout rapport social « pré-rationnel », toute vitalité spontanée
incontrôlable, tout ce qui n’est pas réductible à l’intérêt comptable, est considéré comme
« opacité » à faire disparaître. Cette « transparence » est celle de 1984 : Big Brother vous
regarde, Big Brother sait tout. Ce qui n’empêche évidemment la préservation de quelques
zones opaques juteuses, circuits financiers, commissions et pots-de-vin, paradis fiscaux.
L’idéal de transparence est un idéal proprement totalitaire.
« Tous les discours du Bien sont ravagés par l’ambivalence, souligne Jean Baudrillard.
Ceci est particulièrement visible dans le rapport à la bêtise, comme l’expression la plus
glauque, mais aussi la plus directe et la plus massive de cette ventriloquacité du Mal. Philippe
Muray a magnifiquement décrit cette béatification, cette pacification grotesque du monde réel,
ce ravalement festif de toute la modernité dans la fête, comme concession perpétuelle. Or
c’est bien là, dans cette extension du domaine de la Farce, que le Mal ventriloque se fraye un
chemin de toutes parts, instaurant l’hégémonie de la bêtise – qui est l’équivalent de
l’hégémonie tout court […] Dès que le Bien règne et prétend incarner la vérité, c’est le Mal
qui passe au travers »16.
« Nous croyons naïvement, poursuit-il, que le progrès du Bien, sa montée en puissance
dans tous les domaines, correspond à une défaite du Mal. Personne ne semble avoir compris
que le Bien et le Mal montent en puissance en même temps, et selon le même mouvement
[…] Le Bien ne réduit pas le Mal, ni l’inverse d’ailleurs : ils sont à la fois irréductibles l’un à
l’autre et leur relation est inextricable […] Le mal absolu naît de l’excès du Bien, d’une
prolifération sans frein du Bien, du développement technologique, d’un progrès infini, d’une
morale totalitaire, d’une volonté radicale et sans opposition de bien faire. Ce Bien se retourne
dès lors en son contraire, le Mal absolu ».
Devant les conflits qui réapparaissent inévitablement au sein de la société, Jean-Claude
Michéa constate, pour sa part, que « le droit libéral n’a pas d’autre solution (puisqu’il est
évidemment impossible de satisfaire simultanément deux revendications contradictoires) que
de fonder sa décision finale sur les rapports de force qui travaillent la société à un moment
donné ; c’est-à-dire, concrètement, sur les rapports de force existant entre les différents
groupes d’intérêts qui parlent au nom de cette société, et dont le poids est habituellement
fonction de la surface médiatique qu’ils sont parvenus à occuper ». D’où le rôle des lobbies,
en rivalité les uns avec les autres pour imposer leurs vues en fonction de leurs intérêts.
« Il est cependant clair, écrit encore Michéa, qu’une telle atomisation de la société par le
droit libéral (et la réapparition de la vieille guerre de tous contre tous qu’elle implique) ne
peut aboutir à terme qu’à rendre toute vie commune impossible. Une société humaine
n’existe, en effet, que dans la mesure où elle parvient à reproduire en permanence du lien, ce
qui suppose qu’elle puisse prendre appui sur un minimum de langage commun entre tous ceux
qui la composent. Or si ce langage commun doit, conformément aux exigences du dogme
libéral, être axiologiquement neutre (toute référence “idéologique” réintroduirait les
conditions de la guerre civile), il ne reste qu’une seule façon cohérente de résoudre ce
problème. Elle consiste à fonder la cohésion anthropologique de la société sur l’unique
attribut que les libéraux ont toujours tenu pour commun à l’ensemble des hommes : leur
disposition « naturelle » à agir selon leur intérêt bien compris. C’est donc très logiquement
sur l’échange intéressé (le fameux “donnant-donnant” qui fonde la rationalité de toute relation
marchande) que devra reposer, en dernière instance, la charge philosophique d’organiser la
coexistence pacifique d’individus que tout est censé opposer par ailleurs […] Telle est, en
définitive, la raison majeure pour laquelle l’économie est devenue la religion des sociétés
modernes ».
La « neutralité » libérale touche ici son ultime limite. Le bien, dans les sociétés modernes,
c’est le règne de l’argent.
1. Cf. le compte rendu, par Sylvain Dzimira, de la réunion organisée par le MAUSS le 16 février 2008, avec
Jean-Claude Michéa, à l’occasion de la sortie de son livre L’empire du moindre mal (site Internet
).
2. L’homme est-il un animal sympathique ? Le contr’Hobbes, n° 31 de La Revue du MAUSS, janvier-juin
2008, p. 27.
3. La raison d’un tel silence est probablement que le respect de ce principe implique un certain sens de la
réciprocité, terme que le libéralisme exclut en raison de sa résonance « sociale ». « Comment établir que
l’exercice d’une liberté particulière ne nuit pas à celle d’autrui, se demande Jean-Claude Michéa, si je dois
m’interdire, pour prononcer le moindre arbitrage, de recourir à un quelconque jugement de valeur ? » (« De quoi
le libéralisme est-il le nom ? », in La Revue du MAUSS, janvier-juin 2008, p. 307).
4. « De quoi le libéralisme est-il le nom ? », art. cit., p. 305.
5. « Le libéralisme politique, écrit John Rawls, cherche une idée de l’avantage rationnel définie par une
conception politique indépendante de toute doctrine particulière » (Justice et démocratie, Seuil, Paris 1993,
p. 294).
6. Attitude qui lui permet de camoufler, tout en les reproduisant régulièrement, ses propres comportements
criminels et ses « bavures ». « Un précepte pour le prochain siècle, écrit Tzvetan Todorov, pourrait être :
commencer par combattre, non pas le mal (chez les autres) au nom du bien (que nous détenons), mais
l’assurance de ceux qui prétendent toujours savoir où se trouvent bien et mal ; non pas le diable, mais d’abord les
manichéens » (Le Débat, novembre-décembre 1999).
7. Jean Baudrillard, Power Inferno, Galilée, Paris 2002. « Le nom de l’Universel, note de son côté Alain
Brossat, « peut être, au besoin, d’une remarquable plasticité : se moquer des Arabes, des musulmans, les
assimiler à des terroristes, des obscurantistes, des ennemis de l’institution républicaine et de la démocratie, par
un jeu d’associations plus ou moins grossier, est une pratique généralement couverte, dans la France
d’aujourd’hui, par l’un des noms de l’Universel – en l’occurrence, la liberté d’opinion et d’expression […]
Inversement, se moquer des rabbins, attaquer des institutions dites communautaires, s’en prendre violemment à
la politique de l’Etat d’Israël, sont autant de pratiques qui feront tomber ceux qui s’y risquent sous le coup d’un
autre décret de l’Universel » (Le sacre de la démocratie. Tableau clinique d’une pandémie, Anabet, Paris 2007,
pp. 93-94).
8. Cette distinction, sur le plan descriptif et typologique, remonte au moins à Henry Sidgwick (The Methods
of Ethics, 1874).
9. Cf. notamment Michel Forsé et Maxime Parodi, La priorité du juste, PUF, Paris 2004.
10. Immanuel Kant, Œuvres philosophiques, vol. 3, Gallimard, Paris 1986, p. 479.
11. John Rawls, Théorie de la justice, Seuil, Paris 1987, p. 29.
12. Michael Sandel, Le libéralisme et les limites de la justice, Seuil, Paris 1999, p. 269.
13. Michael Sandel, « La république procédurale et le moi désengagé », in André Berten et al. (éd.), Libéraux
et communautariens, PUF, Paris 1997, pp. 262-263.
14. Michael Sandel, ibid., p. 256.
15. Michel Benasayag et Angélique del Rey, Eloge du conflit, Découverte, Paris 2007, p. 81. « Le
refoulement du conflit peut produire la barbarie », lit-on dès la p. 10.
16. Jean Baudrillard, Carnaval et cannibale. Suivi de : Le Mal ventriloque, L’Herne, Paris 2008, pp. 65-66.
17. « De quoi le libéralisme est-il le nom ? », art. cit., pp. 308-309.
Un texte dense et structuré, s'inspirant largement des travaux de Michéa, et gagnant à être lu en complément de l'analyse de Comte-Sponville sur la moralité du libéralisme.